Les armoires Normande

 

L'armoire normande, Reine du mobilier Basse-Normandie

 

D’un côté la Haute-Normandie, que composent la Seine-Maritime et l’Eure ; capitale, Rouen, la Romaine. De l’autre la Basse-normandie, et trois départements, le Calvados, l’Orne et la Manche ; capitale, Caen, la Viking. Pour le reste de la France, quelle différence ? Pour les Normands, il en existe plus d’une. En commençant par le mobilier, typé, généreux : raffiné à l’est du département, plus proche de la vie quotidienne, plus pittoresque, à l’ouest. Cette différence, qui repose sur la structure du sol, crayeux pour la Haute, jurassique pour la Basse, n’a jamais empêché la cohabitation des styles, évoluant avec subtilité entre la majesté des contrées de Rouen et le charme champêtre caennais. Ces nuances n’empêchent pas la Basse-Normandie d’être reconnue pour sa créativité et son inventivité en matière de meubles…

 

"La caractéristique des meubles de Basse-Normandie veut qu'ils aient un profil bien pensé, construit, étudié, explique Robert Métais, expert en mobilier normand installé à Bayeux. Les raisons : ils n'ont pas été abâtardis, ils sont souvent restés frustres. Une exception, cependant : à la fin du XVe siècle, le cardinal d'Amboise, archevêque de Rouen, premier ministre de Louis XII, comme bon nombre de mécènes, fait venir d'Italie, pour construire son château de Gaillon, une colonie de marqueteurs italiens". Sous leur influence une première école se créée, qui pendant deux siècles, fera progresser à grands pas les Ateliers de l'Eure, "qui se hisseront à la hauteur des Italiens".

 


 Buffet deux corps

 

 

Buffet deux corps en chêne clair. Cesmodèles à corniche droite sont d'une grande finesse de sculpture et d'inspiration Louis XVI.

Cette pièce a été réalisée pour un mariage, de la région de Vire (milieu du XIXe siècle)

 

 

 

 

 


Coffre officier

 

 

Coffre d'officier en fer aciéré du XVIIe siècle.Ce genre de coffre, souvent à tord appelé coffre de corsaire, était un véritable coffre fort. Il suivait l'officier dans tous ses déplacements.

La mécanique complexe de sa fermeture commandée par une seule clé faisait réagir sept pennes sur trois côtés.

 

 


Coffre religieux

 

 

Coffre de communauté religieuse en chêne et pentures de fer du XVIIe. Le corps est muni sur quatre côtés de penture de fer aciéré.

Il était à l'origine posé sur un support à quatre pieds et muni de trois serrures à clés différentes.

 

 


Coffre de marriage

 

 

Coffre de mariage. Louis XII.

 

 

 


Buffet

 

 

 

Buffet. Flers. XIXe.

 

 

 

 

 

 


Table applique

 

 

Table d'applique. Piétement à balustres et à coupés relié par un croisillon. No>rmandie - Louis XIV.

 

 


Influences

Les XVIe et XVIIe siècles se dotent du concours des Flamands. Les Normands, notamment vers Rouen, apprennent à travailler aux ciseaux, renvoyant leur savoir sur la Basse-Normandie : "on peut le constater sur le mobilier d'église dans les villes de Caen et Bayeux. Il est exceptionnel, note l'expert. La vieille armoire XIVe siècle du chapitre de la cathédrale de Bayeux en est un vivant exemple !" Ces influences continues donnent de la hauteur au mobilier normand du XVIe siècle et cette cohabitation des styles se sent dans la manière dt sont travaillés les coffres.

 

A l'origine étaient les coffres…

En Haute-Normandie, ces beaux meubles s'inspirent de la Renaissance italienne, à laquelle l'Antiquité ajoute son emprise mythologique gréco-romaine. Très bien construits, ils exposent sur leurs façades de magnifiques moulures encadrant de nombreux bas-reliefs sculptés, sur le thème de la tempérance, de la force et de la justice, à profilés de héros et de dieux, tel Hermès. Les coffres bas-normands sont plus réalistes, proches de la vie quotidienne. On y sculpte des scènes ou des motifs chrétiens, avec des personnages à l'allure vestimentaire de l'époque.

 

Structures des coffres

La structure, moins complexe, met en valeur la verticalité des panneaux qui constituent les parois du coffre. On retrouve le même type de procédé sur les coffres de Basse-Bretagne. Ces panneaux sont en nombre impair, de trois à sept. Le panneau central, moins haut, laisse la place à une serrure. Dans le Cotentin, des coffres à sept panneaux, à décor plutôt répétitif, à base de motifs stylisés presque abstraits, séparés par des demi-colonnes appliquées en balustres, se trouvent encore aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ils sont caractéristiques du mobilier de la Manche.

 

Décors en Basse-Normandie

Les décors peuvent encore se simplifier et devenir tout à fait représentatifs de la Basse-Normandie. Les façades sont toujours réparties en sept parties verticales mais différemment. Au milieu, le panneau s'élargit en un carré ou un rectangle plus ou moins allongé, parfois légèrement orné d'un thème non figuratif. De part et d'autre, deux pilastres en relief autour d'un étroit panneau plat, à décor subtile, qui parait creux. Ces coffres se fabriquent en pays d'Auge et dans la Manche et ont eux aussi perduré jusqu'au début du XIXe siècle. Parfois, le large panneau du milieu a été découpé pour se transformer en porte, ce qui le rend plus pratique…

 

Coffres en trois blocs, l'armoire est née

La première armoire normande naît de l'idée d'empiler des coffres pour augmenter la capacité de rangement sans empiéter sur la surface au sol. L'accès se fait ainsi en façade, par des vantaux pivotants sur un côté et non par le haut du couvercle. C'est la construction du meuble à quatre volets : deux coffres superposés s'ouvrant chacun par deux portes. L'étape suivante voit l'apparition d'un troisième coffre, moins haut, au milieu des deux autres, s'ouvrant en façade par des tiroirs. Chacun des trois blocs comporte des poignées. Ces coffres superposés pouvaient être transportés.

 

L'armoire se sédentarise au XVIIe

Vers le XVIIe siècle, les trois parties étant solidaires, le meuble devient fixe. Apparu dans le bocage normand, au sud de la Manche, il est nommé buffet ou armoire de Mortain. Cette verte région a été, avec Vire et Tinchebray, un centre capital de création de meubles, sans doute le plus décisif, inventif et riche de Basse-Normandie… Des distinctions, nuances, ressemblances, et influences subtiles permettent de passer graduellement les dégradés, des magistraux meubles de Haute-Normandie à ceux, plus champêtres, de Basse-Normandie. Pourtant un signe distingue bien les deux styles : jamais en Basse-Normandie, toutefois très créatrice et très inventive dans son mobilier, on ne voit en haut des armoires le moindre cintrage, ni de corniches à courbes diverses, telles qu'on peut les observer sur les armoires cauchoises ou rouennaises.

 

Essences du mobilier normand

A 95 % fait de chêne, le meuble bas-normand suit une influence régionale qui se situe au dessus d'une ligne septentrionale qui va de Tours à Dijon. "Géographiquement plus en dessous, on préfère le noyer, c'est une question de mode, explique Robert Métais. Les écoles de Dijon et de Fontainebleau ont imposé ce dictat et à Paris, le chêne est actuellement invendable". Ce bois ,apparemment massif mais délicat, continue à être défendu en Normandie, dans le Nord, en Bretagne, dans les Flandres et en Picardie. Au XIXe siècle, on ajoute au bois des armatures en laiton. Les zones portuaires sont spécialement touchées par le fait. Dans les terres, le fer forgé des origines revient en force.

 

Influences flamandes au XVe, italienne au XVIe siècle

Les décors des meubles varient, selon les tendances des époques : fenestrage gothique à clairvoie et plis serviettes, d'essence flamande au XVe siècle ; meubles d'inspiration toscane à colonnes, armoires à quatre portes, petits buffets à portes moulurées, angles faits de colonnettes deux tiers/un tiers, portés par l'influence italienne, au XVIe siècle. "La sobriété du bas-normand s'alliant aux fioritures de l'Italie", sourit l'expert. A la base de tout, le coffre renfermait hardes, tissu, vêtements et literie. Le buffet n'arrive qu'au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV et a quatre volets et quatre portes. C'est un meuble important, fortement mouluré, à doucines. Il impose le respect et donne une impression de force, de générosité, de majesté et pourtant également, d'austérité. "La commode, curieusement, existait assez peu, souligne l'expert bayeusain. Au XVIIe siècle, on en trouve des traces essentiellement dans l'Orne, à Argentan exactement. Elle est très belle, moulurée et en chêne, bien évidemment".

 

L'armoire est un luxe 

"Il n'est pas permis à tout le monde d'en posséder une. Elle est réservée à une couche aisée de la société, au "sachant", à l'intellectuel. On l'appelle "cabinet de l'amateur". Au XIXe siècle, apparaît l'armoire fleurie, dite "à bouquet de mariage", sans doute la plus connue du mobilier normand. La légende veut que ce soit les notables, ou les riches cultivateurs, qui, dès la fin du XVIIIe siècle, en fassent la commande. "A la naissance d'une fille, on abattait un beau chêne que l'on mettait à sécher jusqu'à ses 20 ans", raconte Robert Métais. A l'âge de la marier, la famille faisait intervenir un menuisier local, qui à l'époque tournait sur la région dans un rayon de 25 à 30 km. Sculpteur de province, ornementiste amateur, "il ne pouvait évidemment pas soutenir la comparaison avec la sculpture des grandes écoles académiques parisiennes, mais l'armoire normande est folklorique et fait partie des arts et traditions populaires".

 

L'armoire normande : haute ou basse ?

Chaque ville a son armoire en fonction de son menuisier et des influences qui la traverse. La rivalité entre les armoires de Caen et de Fécamp est ouverte : du côté de la Haute-Normandie, Fécamp, Dieppe, Rouen, dans le camp des bas-normands, Caen, Saint-Lô, Vire, Bayeux. Peu à peu, l'armoire normande prend les formes qui l'ont rendue célèbre. En Basse-Normandie, l'allure générale change peu. Seul le décor s'étoffe. Les panaches de feuilles en haut des portes caractérisant les armoires de Basse-Normandie, à partir du XIXe siècle, deviennent plus fournis et proéminents. Même si on les aperçoit sur des armoires du XVIIIe siècle, elles ne prendront toute leur ampleur que cent ans plus tard.

 

Buffets normands

Il existe en Basse-Normandie, des buffets de différents styles (Louis XIII, Louis XIV, Régence), qui rappellent leur ancêtre de Mortain. Ils sont robustes, bien structurés, symétriques, géométriques. Ils sont aussi larges et profonds en haut qu'en bas. Détail qui a son importance, on va retrouver à Rouen, au XVIIe et XVIIIe siècle, de très beaux spécimens de la même allure qui ne sont pourtant pas du Cotentin. Ces quatre portes, destinées à des familles habitant la capitale de la Haute-Normandie, ont repris les formes basses-normandes qui se sont imposées dans tout le département.

 

Harmonisation du mobilier

Aux mêmes époques, les armoires s'assortissent aux buffets. Les lignes du décor s'assouplissent au fil du XVIIIe siècle ; les bords se gondolent, les lignes horizontales des grands panneaux ondulent. La moulure du haut du panneau supérieur s'interrompt et chaque extrémité se termine en crosse feuilletée, sculptée d'un feuillage. Entre les deux crosses s'insère la base d'un panache, éventail d'acanthe, en relief, ceux-ci ne font qu'accompagner un motif encore plus important et significatif : le panier fleuri, au centre, juste au-dessous de la corniche.

 

Armoires et buffets fleuris, joyaux normands

On le retrouve sur des meubles régionaux dans d'autres provinces. En Haute-Normandie, il en existe sur des armoires et des grands buffets de Dieppe ou de l'Eure. Ceux de Basse-Normandie se caractérisent par le trio harmonieux qu'ils composent avec leur panache d'acanthe. Sur les plus travaillés, des guirlandes sculptées relient les trois éléments. Le panier fleuri de Basse-normandie se compose d'une vannerie en forme de corbeille ou de vase. Quelquefois, il ressemble à un précieux vase d'orfèvrerie. Il contient un bouquet fourni où dominent des fleurs des champs. Il peut contenir quelques roses ou des fruits, surtout des grappes de raisins, une poire, une grenade. Assez rarement, un couple de colombes y fait son nid. Sur les armoires les plus luxueuses, ce bouquet est gros, en relief, en bosse ronde, sur les plus modestes, plus petit et en faible relief.

 

Au XIXe siècle, l'armoire prolifère

Chaque foyer souhaite en posséder au moins une chez lui. "Elle est haute et se développe en nombre et en dimension, constate l'expert. En revanche les bonnetières se font rares". Est-ce à cause des formes de vêtements, des coiffes qui ne rentrent pas ? "Il n'y a qu'à Fécamp qu'on pouvait encore en trouver de véritables. Les autres, pour la plupart, sont des armoires recoupées". Aujourd'hui très demandées, les armoires normandes occupaient les paliers des belles demeures. Les domestiques y rangeaient les draps, le beau linge de maison, et dans les vestibules et les corridors, s'y serraient les habits.

 

Du mobilier absent des intérieurs normands

Les autres pièces accueillaient buffets, coffres, vaisseliers/garde-manger, plus courant ici que le buffet/vaisselier, et "laiterie" : ce buffet à six portes, parfois surmonté d'un garde-manger est plutôt rare. On le rangeait dans la salle commune, le cellier ou une pièce spéciale nommée, aussi laiterie, et on y plaçait pour les conserver, le lait, la crème, les fromages, les pots en grès contenant de la graisse. L'hiver, on y introduisait des chaufferettes avec de la braise et des cendres chaudes pour faire monter la crème. Difficiles à dénicher, les sièges : "on en trouve encore quelques spécimens dans de belles demeures, avec des fauteuils de luxe de l'époque Régence à rinceaux et coquilles Saint-Jacques, mais c'est exceptionnel". Reste le mobilier rudimentaire, chaises, tabourets, les fauteuils paillés, les bancs et les banquettes. "Les sièges à grands dossiers représentaient l'étiquette". Quant aux meubles de la ferme ou du notaire, "il était trop ordinaire pour qu'on le garde, déplore Robert Métais. Détruit, abandonné, il en reste, heureusement, des vestiges dans les musées". Reflets des richesses de la région, ce mobilier a connu un regain de splendeur sous Louis XIII et Louis XIV. Fermes fortifiées à Caen ou manoirs à Barfleur en étaient les dépositaires, aujourd'hui visibles pour le plaisir de l'œil...

 


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