Les phonographes

Les phonographes

 

Le monde entier en a voulu un chez lui. A ses débuts, réservé à une élite, il a fait des envieux. En France, à l’époque de Maurice Chevalier ou de Mistinguett, on dit qu’il fait découvrir la musique à la France. « Il », c’est le phonographe, découvert par un Français, Charles Cros et un Américain, Thomas Edison la même année, en 1877. Tous ont tenu à graver leurs voix dans les sillons de la cire : le vieux rêve de l’humanité d’emprisonner et de restituer la voix, la musique ou le bruit prenait forme. Mais si l’histoire du phono est courte, un peu plus de 60 ans, de nombreuses marques, encore célèbres ou aujourd’hui disparues vont produire des appareils. Grâce à eux, les sons de la vie vont se répandre dans tous les foyers…

 

Phonographe portable d'Edison - 1929

phonographe 1929

 

Deux fois inventé !

L’invention du phonographe est marquée par une bataille d’inventeurs, tous plus empressés les uns que les autres de s’approprier la primeur mondiale de leurs découvertes. Les brevets vont continuer de pleuvoir par centaine, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, bien longtemps après que le phonographe soit apparu, en 1877…La plus grande bataille –une injustice diront certains- s’est déroulée entre Charles Cros le français et Thomas Alva Edison l’américain. Tous deux grands inventeurs devant l’éternel, touche-à-tout de génie, le premier avec la photographie couleur, le second avec le télégraphe, découvrent les premiers le phonographe, la même année.

 

 


 

Modèle 1907 de phonographe Pathé vendu par la Maison J. Girard & Cie avec 20 disques, au prix de 6 francs par mois pendant 30 mois. Il est équipé d'un système à monnayeur.

phonographe 1907

 

Doublé sur la ligne d’arrivée

Charles Cros avec une petite avance sur son congénère américain, puisqu’il dépose son projet, appelé « paléophone », le 18 avril 1877 à l’Académie des Sciences de Paris qui ne le lira que le 3 décembre. Pendant ce temps, le 19 décembre, Edison dépose à Paris une demande de brevet pour un projet semblable et le 24 après avoir fait une démonstration de son appareil au journal « Scientific American », il prend un brevet. Charles Cros n’aura eu le tort que de ne pas avoir pu le fabriquer, dans l’impossibilité de rassembler les fonds et de trouver un constructeur, desservi par un manque de réaction de la France, qui ne le prend pas au sérieux. Presque 130 ans plus tard, rien n’a vraiment changé au royaume des Gaulois : ce ne sera ni la première, ni la dernière invention que l’étranger, plus réactif, lui souffle !

 


 

le plus célèbre des Gramophones : avec le chien Nipper, il symbolise La voix du maître. La manivelle verticale rend cet appareil très reconnaissable. Curieusement ce phonographe porte une dénomination différente selon les pays, alors qu’il est commun à toute les filiales de la marque. En France, il est le Type B fabriqué par E.B. Johnson. Au Canada, The Berliner Standard Gram-o-phone type A.

gramophone

 

 Une recherche incessante

Le principe du phonographe est simple encore fallait-il le trouver. Car depuis vingt siècles, l’homme rêve de reproduire la voix humaine. Des Chinois, Grecs et Egyptiens, en passant par des hommes de lettres, Rabelais au XVIe siècle, Cyrano de Bergerac ou Jules Verne au XXe ou encore par des scientifiques comme Thomas Young, qui invente une machine à reproduire le son mais pas la voix, et Léon Scott de Martinville, inventeur du précurseur du phonographe, le phonotographe en 1857, tous l’ont tenté, approché. Edison et Cros, eux, trouvent la formule. Et Edison le réalise : pour la première fois au monde, il réussit à enregistrer et reproduire le son de la voix humaine, se bâtissant par là même une énorme fortune.

 


 

 

Le Gaulois fut présenté par Pathé comme le phonographe des familles. En effet, il ne coûtait que 36 francs. Les premiers appareils sortirent en 1900 et déjà au catalogue de 1903 il n’est plus fait mention du Gaulois. Pourtant grâce à la Maison J. Garard & Cie, ce phonographe a été largement diffusé par la vente à crédit sous le nom de Ménestrel ; il était alors présenté dans une boîte en bois verni et possédait un pavillon de cristal.

le gaulois

 

Même imparfait, un succès immédiat

Entouré d’une solide équipe de savants et de techniciens qui l’aident dans ses recherches sur le télégraphe, le téléphone ou l’électricité depuis déjà un certain nombre d’années, Edison se tourne naturellement vers l’enregistrement, la reproduction de la parole, d’autant que le savant est devenu précocement sourd. Ceci n’étant sans doute pas étranger à cela. Le premier appareil, très rudimentaire, est composé d’un cylindre mobile, recouvert d’une mince feuille d’étain et d’un diaphragme, mais il fonctionne. Encouragé par ses résultats, Edison continue ses perfectionnements. Après avoir expérimenté le cylindre, le chercheur américain dresse le plan d’un phonographe mû par un mouvement d’horlogerie et utilisant un disque plat, recouvert également d’une feuille d’étain. Bien qu’imparfait, le phonographe d’Edison est réclamé par le monde entier. Il s’en construit 600 dès 1878.

 


 

Spécialement fabriqué pour la Maison de vente à crédit J. Girard & Cie, le Ménestrel contient la mécanique du phonographe Pathé Le Gaulois. Les modèles de 1902 sont de couleur bleue et or et le diaphragme reproducteur est un rex de chez Pathé.

phonographe 1902

 

Un résultat décevant

Des présentations aux Etats Unis, en Angleterre, puis en France sont organisées. Le 11 mars 1878, un représentant d’Edison fait à Paris une démonstration devant l’Académie des Sciences enfin très intéressée. La promotion est efficace et le démarrage du phonographe fulgurant. Pourtant, après ce démarrage éclair, le phonographe va piétiner une dizaine d’années. En effet, les résultats sont imparfaits : certaines syllabes ont du mal à impressionner l’étain, en particulier celles qui commencent par un « S ». Le métal est bruyant par lui-même et ne peut résister à plus de deux ou trois lectures par diaphragme ; le son alors se brouille.

 


 

Victor I américain, petit Gramophone à pavillon floral vendu en France par J. Thibouville Lamy et Cie vers 1909.

phonographe 1909

 

Association d’Edison avec Summer Tainter

Thomas Edison se consacre donc à d’autres projets et ne reprend ses études sur le phonographe qu’après la découverte par Summer Tainter de l’emploi d’une matière nouvelle pour la fabrication des cylindres. Il s’agit d’un mélange de cire durcie, matière facilement impressionnable et non sonore. En bon homme d’affaire, Edison traite avec la Tainter Gramophone Company et met sur le marché un nouveau phonographe à moteur électrique et à cylindres de cire, en 1887. Pourtant, insatisfait de son appareil, l’américain créé un phonographe encore plus perfectionné, qu’il commercialise en 1888. Mais une campagne de promotion est nécessaire pour le faire connaître.

 

 


 

A l’Exposition Universelle, des cylindres magiques

L’Exposition Universelle de Paris en 1889 sera l’occasion de présenter son phonographe : des milliers de visiteurs, fascinés, attendront de longues heures pour entendre à leur tour les cylindres magiques. Jusqu’en 1929, Edison n’arrêtera jamais la production de ses phonographes et à chaque perfectionnement correspond un nouvel essor des ventes. En 1908, il va produire des cylindres de même format que les précédents mais d’une durée double (4 minutes). En 1912, il emploie une nouvelle matière pour ses cylindres : le celluloïd, incassable et imputrescible. En 1913, tout en conservant la gravure verticale, il lance des disques plats.

 

Une guerre des nerfs

Pendant ce temps, d’autres inventeurs ont fait avancer la recherche et développent leurs trouvailles : la concurrence est rude et les créateurs-fabricants n’ont d’autre solution que de s’associer pour faire front. Chaque étape de ces inventions est sanctionnée par un brevet. Edison prendra ainsi des milliers de brevets pour défendre ses droits de propriété et gare à qui tente de le doubler : le procès l’attend, que pour la plupart du temps l’homme d’affaire américain gagne ! L’importance des inventions d’Edison, sa production organisée, la bonne commercialisation de ses appareils et la longue période de fabrication, de 1878 à 1929, font que ses phonographes construits pour la plupart dans le New Jersey ont bien couvert le marché : les collectionneurs doivent donc largement compter avec cette production américaine dans le champs de leurs investigations…

 

Haut de page